Le poète n’a rien écrit
Il s’est levé à cinq heures trente
Le corps endolori
A bu son café en tentant de se souvenir du parfum de la femme brune croisée la veille
Puis il a rincé sa tasse
S’est habillé
A jeté de l’eau sur son visage
Est sorti
A remonté la rue
Le poète n’a rien écrit
Patientant sur le quai
S’engouffrant dans un wagon
Contemplant l’éclairage
Mourant un peu plus le temps du trajet
Poussant la porte de l’entrepôt
Pointant
Avant de sauter dans un camion
Le poète n’a rien écrit
Il n’a pas ouvert la bouche pendant le trajet
Rêveries éteintes
Articulations rouillées
Tee-shirt imprimé aux armoiries de l’entreprise de déménagement
Puis vider et remplir
Soulever et poser
Escaliers innombrables
Vertèbres écrasées
Sueur brûlant l’œil
Cartonboismétal entaillant les mains
Aucune seconde pour penser
Rien que l’effort
Rien que la fatigue
Rien que la pesanteur
Le poète n’a rien écrit
Il a avalé un sandwich sur les coups de treize heures
Fromage et poivrons
A mordu dans un fruit mûr
S’est accordé une courte sieste
Puis s’est remis à vider et remplir
Sous le soleil obèse et brutal
Jusqu’à ce que soit accomplir le rite
Le poète n’a rien écrit
Retour au dépôt
Ranger le matériel
Passer un linge propre
Plonger dans la station de métro et faire semblant de ne pas remarquer les visages grimaçants
A peine discrètement
Car le poète pue
La sueur et l’effort
L’odeur âcre du travailleur
Perceptible et respecté par celui qui en a déjà été couvert
Le poète n’a rien écrit
Il est rentré chez lui
S’est lavé le corps
A dévoré son repas devant un film
A bu le vin réconfortant
Ecouté un peu de musique
Ou lu quelques pages d’un livre ouvert il y a plusieurs semaines
Le poète n’a rien écrit
Et sous ses draps il songe
A des voyages non voyagés
A des corps de femmes
A l’océan frais et scintillant
A des toiles de maitre
A sa tristesse et à sa joie
Au poème qu’il n’a pas écrit
A la solitude et à l’amour
Et à tout le reste qui n’a pas de mot
Ni de forme
A ce que la vie pourrait être
Et à ce qu’elle n’est pas
*
Sans inspiration
Sans inspiration
Bar bruyant
Visages blêmes
Damnés tricotant leurs visions
Néons jaunes
Musique baroque
Sans inspiration
Murs écaillés et humides
Songeant à Rome et à tes seins
Malt prophétique
Zorgt hij voor aromas van zwarte peper
Rozen & lavendel
Sans inspiration
*
Circonvenus par la foule dense
Les prisonniers traversèrent la place
En se remémorant les jours verts
Les ventres de femme
Le vin chaleureux
Les pépiements des matins
Le parfum de l’immortelle
Les jeux d’enfant
Les caresses de la mère
La musique de Brahms
Le vent dans les herbes
Le goût de la crème fouettée
Ainsi que les subtiles nuances chromatiques
Des crépuscules d’août
*
Recraché ce matin sur le goudron frais
L’insecte qui vivait dans un coin de moi
Et nourrissait ce sentiment de crainte
Qui depuis plusieurs mois m’empêchait
D’achever quelque mouvement vers
L’acte
Le petit corps grouillant et noir
Ne s’attarda pas et bondit avec adresse
Dans une anfractuosité du trottoir
Pour y disparaître sans même un regard,
Ce qui m’attrista profondément
*
Ma mère couchée dans sa chambre d’hôpital,
Regardant une émission de variété à la télévision,
Un ciel plein de menace filtrant à travers les volets
Et le temps suspendu à un cathéter et une sonde
Nous avalons des marrons glacés et du café
Tandis que dans le couloir une femme semble s’affoler
Et hurle qu’elle veut rentrer chez elle nom de Dieu
Mais si je suis certain d’une chose,
C’est que Dieu a bien mieux à faire
Que de traîner dans les corridors blancs
De ce dimanche de fin novembre,
Et que même si un hasard de fortune
L’attirait dans les parages,
Il y a fort à parier qu’il trouverait dans l’instant
L’arrêt de bus le plus proche
*
Une béquille posée contre le guichet,
Le corps de la vieille pliée en deux,
Oreille tendue vers la petite ouverture
Découpée dans le rempart en plexiglas
On lui dit qu’il n’y aura pas de chèque
Ni aujourd’hui ni demain
Et qu’il faudra repasser lundi
Qu’on est vraiment désolé pour elle
*
Je me fiche de la Grande Idée
Et recherche plutôt les visions
Dans des fragments oubliés sur le sol
Et si Walt Whitman croyait encore
À l’homme illimité,
Il faut désormais se rendre à l’évidence :
Les sorties de secours sont bondées.
*
Crasse, urine et sperme
Le résultat de la loterie
ne fit naitre aucun espoir
Et ce matin fut le même
constant et blanc
crasse, urine et sperme
sur les barres métalliques
de chaque rame
de métro
*
Manifestement
J’aurais tout aussi bien pu battre la campagne
À dos d’âne en chantant mes propres Bucoliques
Mais je préfère au lyrisme le son de l’acier
Et l’odeur de la pluie sur le bitume chaud
Il faudrait pouvoir contempler du dedans les choses
Car c’est alors que les épaisseurs s’évanouissent
Et dévoilent le vrai visage du Fabriquant,
Qui manifestement n’a pas exécuté le geste
Au hasard
*
Encore sauvé
En buvant seul dans un coin de café
Je remue la mélasse des contingences
Et déniche dans le suc (coup de chance)
Quelques bonnes raisons de continuer
Parmi lesquelles une bouche rose,
Un chat ronronnant sur mes genoux,
Un livre à lire et un voyage à voyager,
Le mouvement d’une comète fraîchement
Débarquée de Kuiper,
Un reportage sur les limules et un autre
Concernant Ivan Illich,
Et puis le corps chaud de la femme,
Le jus sucré et puissant du fruit bleu,
La marche dans les bois silencieux,
Ou la partie de cartes avec l’enfant
Qui éclate d’un rire inépuisable
*
Myopie
Je n’ai jamais vu grand,
Je ne vois que par fragments,
Je ne vois qu’à quelques mètres
Et d’ailleurs j’arrive même à rater
Ce qui se trouve parfois sous mon nez
Néanmoins ce que je vois
Je le vois définitivement,
Je le vois dans sa petitesse,
Dans la splendeur de sa simplicité,
Et puis je l’incorpore au-dedans
Et tout prend alors forme
Chaque bribe devient engrenage
Chaque engrenage nourrit le dispositif
La chiquenaude se faisant détonateur,
La lumière pulsant son règne
Dans les ténèbres prépoétiques
Des sales nuits
*
Ô muses ! Ne mettez pas les pieds ici !
Vos chants et les miens ne sont pas nés
Pour s’accorder
Et d’ailleurs j’ai mieux à faire ce soir,
Comme remplir et vider ce gobelet
Et me tenir à bonne distance du lyrisme
Et de la chaleur de vos sexes
*
La lampe s’est éteinte et le ciel a suivi
L’enfant tousse dans la pièce voisine
Et le monde s’affale sur sa propre graisse
Mais il me faut continuer l’œuvre
Selon le rituel établi par moi-même
Sang pulsant dans le foyer intérieur
Nourrissant le feu noir du refus
*
Le dos de mon père confirme
La grande illusion du progrès
Ainsi que tous les dos fracassés
De tous les pères jusqu’à Adam
Le temps pour penser a été dérobé
Et celui pour produire corrompu
Ne reste ainsi que les vertèbres écrasées
Et la violence infinie d’un froid constat
*
Je ne vous rembourserai pas
Les vieux jours glissent un œil lubrique sous les robes des lendemains.
Evidemment que le temps ricane… Regardez-nous !
Ne pas économiser ses munitions.
Le silence s’est fait dans la pièce.
La vie se retirant en toute discrétion.
L’immortalité est une extravagance de mortel.
Je préfère vous prévenir : je conserve mes meilleurs poèmes pour un livre que je vendrai plus cher !
Habiter là.
Plier l’orbe.
Conjuguer l’isthme.
Noyer la perspective.
Rie fuyard .
Et qui se soucie du sort du sort ?
Mon pas désobéit à mon ordre et contre toute attente s’émancipe.
Cataclysme fondateur de l’orgasme.
Mon fils dessine les maisons bien mieux que moi.
Pivoine de ta bouche entrouverte.
La lune éclaire la cour.
Ils m’observent et ricanent en buvant leurs cocktails. Il est vrai que les cadavres n’entendent rien à la création.
Dieu carillonnant un requiem d’accords enflammés…
Le cœur est un chasseur désarmé.
L’enfant remontant le toboggan à l’envers sous les yeux catastrophés des parents figés.
Il suffit que je m’installe à l’ombre pour que le soleil trouve un chemin jusqu’à mon œil…
Je me regroupons.
Mithridate se forçant chaque jour à regarder un moment la télévision afin de renforcer sa résistance à l’abjection.
Erotisme de la démarche.
SOUPIR
Je ne sais être qu’assoiffé.
Le lecteur comprendra-t-il le poème tel que je l’ai écrit ?
Fuir le hiéroglyphe
Piéger le piège
Signer d’une croix
San Antonio se leva, remonta son col, offrit un étincelant sourire puis envoya son poing en plein dans la mâchoire de la littérature française.
Fausse monnaie du pouvoir.
Toute critique positive serait malvenue !
La légion d’honneur peut parfaitement caler le pied d’une table branlante.
Sans cela chers amis, je ne vois absolument pas pourquoi il en serait ainsi…
Lithographie.
Jet de pierre.
Artchaïsme.
Sempiternelle querelle des anciens et des modernes ne trouvant sa justification qu’hors du champ de l’art.
Le poète est aussi le poème qu’il n’a pas écrit.
Ne compte que la transmutation vitale de la recherche en connaissance.
Frank Zappa et Rabelais auraient signé l’album du siècle.
Avarice du poumon.
L’air est compté !
Galilée propulsant le Soleil d’une simple chiquenaude.
La découverte dans toutes choses : l’art, le sexe, l’ivresse, l’orage, la fleur, le travail, l’amour, l’échec (surtout l’échec), le déplacement d’un chat, le nerf comprimé dans votre jambe gauche, la mort, la paternité, le voyage, le silence, la bêtise, la nourriture, le chant de l’oiseau, l’orgue, la maladie, la terreur, la foule, le désespoir, le vent chaud balayant Rome, l’arbre dénudé, l’ennui, les fins de mois difficiles, les déplacements en avion, l’écriture, la poésie, encore l’ivresse, l’amitié, la haine, la contemplation, les rixes, la couleur changeante du ciel le soir, le rêve et puis tout le reste… TOUT LE RESTE.
Ne vous formalisez pas.
Privilégiez les profondeurs.
Cette réception fut parfaite : un discours médiocre et d’excellents feuilletés au fromage.
La couronne sur la tête de Dieu, Dieu la jette au sol et la piétine.
Le génie : supercherie de marchands.
J’aimerais avoir le temps.
Peu importe à quoi.
La femme assise en face de moi ressemble à s’y méprendre à la femme assise en face de moi.
N’évente pas tes découvertes, ils en feraient des bombes.
Je travaille pour payer mon loyer, les factures et de la nourriture empoisonnée. Le reste me concerne.
Métier disparu : lanceur d’huile bouillante.
La nuit tombe
Et se brise les os
Je dois sans cesse explorer de nouvelles voix. Créer différemment quitte à me mettre moi-même à dos.
L’auteur que je suis maudit l’éditeur que je suis pour son refus d’une avance pourtant modeste.
Finalement c’est assez simple.
Attrapez un stylo et essayez.
Entendu hier : « Le pôle finance se réorganise dans le cadre de la dématérialisation comptable. »
Je vous laisse juge.
L’air frais du matin
Soleil sur le visage
Redevenir vie
Emissions de variété : holisme.
Instants d’émerveillement : contempler une toile, s’allonger sous un arbre, sentir le vent tiède, boire du vin, caresser tes cuisses, s’avouer vaincu, écrire ce poème, mordre dans des aubergines grillées, bavarder avec Dieu, prendre le train et plonger dans l’océan.
Connaitre le silence.
Le taire.
Microscopiques victoires de nos rires.
Files d’attente et inspiration créatrice : les meilleures idées me viennent alors, un paquet de rouleaux de papier toilette sous le bras.
S
T
A
L
A
C
T
I
T
E
Je préfère la poésie au cancer.
Le vieux jardin clôt
Au cœur d’un jardin plus vaste
Ce dieu en chacun
L’os dans le reliquaire est à la hauteur de nos attentes.
Regardez mieux bon sang !
Vous ratez tout !
Nous devenons autres durant ces instants associés.
Il ne s’agit pas de se mettre à la place du lecteur, du spectateur, mais de demeurer bien en face de lui.
Cette foule agglutinée autour de la fontaine de Trévise m’évoqua un samedi estival à la piscine municipale de mon quartier.
Intérieurement je m’égosille.
Dans ce reflet sombre
Je ne me reconnais pas
L’onde me déformant
L’utilisation du gérondif est pour moi capitale.
On lui demanda de venir avec sa propre craie.
Ardoise trop longue.
Oui tout va bien aujourd’hui…
Les critiques littéraires sont plus traitres que les questions à choix multiples.
Ce constat : mon fils de deux ans éclatant d’un beau rire sous un violent orage, dansant au milieu des passants paniqués qui prennent la fuite.
Votre adage : _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _
Je demeure précaire pour ne pas éveiller les soupçons !
Navigation intérieure
Mer calme
J’ai perdu toute illusion à l’âge de sept ans, lorsque qu’à la télévision j’ai vu un reportage sur un milliardaire hongkongais qui s’était fait fabriquer des chiottes en or massif.
Je trouve de l’intérêt dans presque toute chose.
Ces instants dont on sait presque immédiatement qu’ils ne seront ni vécus de nouveau, ni traduisibles dans une quelconque forme poétique.
La beauté nous fuit.
Dieu frottant une céphéide sur sa semelle… allumant son cigare contre l’étoile brûlante.
Oui je sais… J’ai fait la même tête que vous.
Diabolo-jusquiame
Lorsque plus rien ne viendra…
GAGNANTS
PERDANTS
AUTRES
Vitrail de l’iris
Chaleur du sein
Morsure à l’épaule
Nef étroite
J’ai détruit plus de poèmes que je ne vous en laisserai jamais lire.
Apprendre à l’oreille à se méfier de l’œil.
Risq u
e
d
e
c
h
u
tt
e
La campagne vue depuis le train.
Il faut alimenter le foyer, le sang et notre songe commun.
L’offre et la demande : mamelles de louve.
Envoyez-moi vos dons !
Cette bouteille de Lacryma Christi.
Et puis ton corps nu.
Me voici chers poètes ! Je viens prendre votre clientèle…
Candidature renvoyée suivie de ces quelques mots :
« L’Empyrée ne recrute pas ! »
Corolle ensanglantée
Fleur de deuil
Veillez à aimer.
ETERNELS MONTS.
Je me poussiérise !
Splendeurs intimes inaliénables.
Vous voyez ce type qui écrit au fond du bar ?
Et bien c’est toujours moi.
*
D’ici la prochaine aube
Au-dedans du ventre et du monde englouti,
Conservant le souvenir de la cellule première
Et traversant au rouge en hurlant des poèmes
De Zbigniew Herbert,
Il me vient ce constat que les bars et les alcools
Demeurent à peu près les mêmes de Palerme à Tokyo,
L’ivresse différant selon que l’on fasse l’amour
Ou que l’on dégrise la joue collée à un siège de métro
De la Circle Line, Liverpool Street Station.
Parcourant en dos crawlé le smog électromagnétique,
Je distancie à contre-sens le jour pachydermique,
La nuit s’annonçant propice à bâcler quelques vers
Et à caresser des seins fermes,
Et l’infernal serpent du temps qui s’entortille dans la conscience
(sssssssssssssssssssssss…)
Ne peux plus rien avaler ni mordre de potable,
Et je vide un verre nouveau dans une rue de Rome
Et je ferai assurément l’amour d’ici la prochaine aube.
*
Quatrain
Entamant la lente sculpture du retour
Je me leste des souvenirs arrachés
Et ce qu’il reste de chair sur l’os
Nourrira le ver, empoisonnera le reste
*
E… se déplaçant dans l’herbe
Le vent ébouriffant ses cheveux
Et les miens
Tout autour les montagnes sont immobiles
Elles ont vu les générations
Se succéder
Sans que cela ne les trouble
E… se déplaçant dans l’herbe
Tandis qu’une nuée d’insectes
Me vole autour
Et lui vole autour
Electrons bourdonnants
Je lève les yeux vers le versant
Où s’étalent d’infinies nuances de verts
Et la roche étincelle violemment
E… se déplaçant dans l’herbe
Moi le contemplant
Ebahi par l’offrande de cet instant
Les montagnes et le vent
Le village perché plus haut
Irrémédiablement
père
*
Quatrain
Ce jour-là fut puis se tût
Qu’en reste-t-il de miracle ?
Le vent soulevant tes cheveux ?
Rien que le vent en vérité
*
De sel et de romarin
Quelle est donc cette frontière enjambée ?
Ce brusque flottement qui projette mon cœur contre le plafond ?
La branche en fleurs
Dehors
Porte le souvenir d’une jouissance
Voici la venimeuse vérité
Le talisman de sel et de romarin
Projette
Sa magie sur ma poitrine
Cependant qu’échoue
Une stratégie d’évitement
*
Quatrain
Ce ciel corné à la page soixante-treize
Me révéla son secret inutile et encombrant
Je préférerai de loin observer en silence
L’inflorescence unique du palmier suicidaire
*
Le Zambèze et le tigre
Que pourrais-je dire de plus qui ne soit déjà raconté
Dans la suite d’accords que la nonne éthiopienne
Tisse sur son piano solitaire
Que pourrais-je dire de plus qui ne soit déjà raconté
Dans le geste antique de l’enfant qui ramasse
Une feuille rouge tombée de l’arbre
Que pourrais-je dire de plus qui ne soit déjà raconté
Par les larmes de ces femmes lavant le corps
Du vieil homme mort durant la nuit
Que pourrais-je dire de plus qui ne soit déjà raconté
Par le corbeau et la tempête
Par le Zambèze et le tigre
Par la fleur et la bombe
*
Abîme
La flèche interrompt la danse
Parfait silence
C’est la magie sans trucage des vivants
Les portes pivotent sur leurs gonds
Prenant le demi-cercle pour un
Cosmos
*
Quatrain
Orphée tirant sur les cordes de sa lyre ébréchée
Profane le silence d’un blues chaotique
Le Grand Poème ayant rempli son estomac de vin
Se perdit en rentrant sous la lune amusée
*
Ce qui nous conduit au large
L’instant est propice
Le pénétrer lentement
Car ce qui nous conduit au large
Est un chant inédit et brutal
Songeant que la vie s’amenuise
Songeant que presque tout s’amenuise
Je me réapproprie poids et mesures
Tandis que la femme sous les draps
S’étire et gémit
L’instant est propice
J’y exécute ma gestuelle
Parcellise l’air dans de petits bocaux
Que je revends sur des parvis d’étouffoirs
Songeant que les élans s’attiédissent
Songeant que presque tout s’attiédit
Je claironne mon 4’33
Tandis que l’enfant attentif et royal
Entend l’arbre pousser
*
Plutôt crever
Qu’abandonner l’œuvre en cours
Que brader son âme
Qu’accepter leur bruit
Que refuser le geste amoureux
Que soumettre mes brouillons
A leurs contrats d’éditeurs
Plutôt crever
Que vivre en simulateur
Qu’espérer mal
Que boire maussade
Qu’écrire sans noblesse
Que ne pas embrasser tes seins
A pleine bouche
Ah ça non !
Plutôt crever
*
10 haïkaï
La lutte essoufflée
Accroupie sur le trottoir
Vomit un mantra
Ce constat pénible
Le sonnet cosmique nous nie
Que suis-je pour l’étoile ?
Satie dans le bloc
L’anesthésiant m’engourdit
Un néon clignote
Le monstre en chacun
Affronte le dieu en chacun
En résulte l’âme
Torche éteinte du songe
Un peu de cendre sur la langue
Comment dire le beau ?
Jeune fille aux arums
Asséchés par l’absence d’eau
Amour sans racines
Les cinquante yeux d’Argos
Eveillés ignorent le rêve
Des cinquante qui dorment
La vision glissant
Comme un nuage se construit
Le vent joue son rôle
Méditant hier
Qu’apportent les échecs ?
Du bon vin j’espère
De mon songe fiévreux
L’ange sortit en titubant
Flacon sous la veste
*
Quelle est donc cette frontière enjambée ?
Un brusque flottement
Projette mon cœur contre le plafond
Cependant qu’échoue
Une stratégie d’évitement
Le talisman de sel et de romarin
Rayonne sa magie sur ma poitrine
Et le temps baisse la tête
Observant ses pieds ensanglantés
Et puisque l’insecte
Porte le souvenir d’un hiver
Je l’emprisonne au fond de ma poche
Où règne un insecte plus vieux
*
Anomalies poétiques
Les projections écarlates d’une défenestration
La tempête détruisant un village
La peinture de Gorky
Une étoile s’affalant sur elle-même
La cicatrice sur un visage gracieux
Un chant funèbre
Le feu dévorant une forêt
L’océan submergeant un navire
Dieu éclatant de rire dans un asile de nuit
Le résistant leur crachant à la gueule
Un jet chaud et épais du sang qui lui remplit la bouche
*
Quatrain
L’amertume du café me fit grimacer
Dehors la foule a cessé la lutte à 7h30
Petite annonce lue dans le journal du jour :
« Loyer impayé recherche mécène. »
*
Ivre dans les champs d’Ialou
Plaisantant et buvant du vin avec Thot
Au milieu des champs de roseaux
Osiris agence son alphabet
Du bout de son calame
Ivre dans les champs d’Ialou,
Je vomis mon coeur dans la balance
Qui s’équilibre aussitôt
Mon coeur et la plume de Maât
Et la stupeur de l’assemblée
Prise au dépourvu
Derrière le grillage de l’arrière-cour
Ammut écume en grognant
Ne songeant plus qu’à dévorer l’organe
palpitant
*
Beuverie
L’ennemi a rempli les verres et nous
avons bu
Riant
Nous tapant dans le dos
La pluie perlait sur la vitre en cette
soirée assassine
Un instrumentiste exsangue
Au fond de la pièce jouait Scriabine
Et quand tous se sont tus
Quand les paupières se sont rouvertes
Alors l’émerveillement s’est glissé sous
la porte
Et a fui
Vulgaire rat pris de panique
*
Algèbre blanc et secret
Le soleil fit glisser l’ombre d’un
Arbre
Le long du trottoir
Horloge ancienne au mécanisme
Astral
Algèbre blanc et
Secret
Libéré de son frein premier
Constance et humilité
La raison, qu’a-t-elle à voir
Là-dedans ?
*
Quatrain
Les singes de Borel ont abandonné
leurs sièges
Ils savent que le poème est dehors
Et que Villon méprisait les sciences
statistiques
Préférant l’ivresse, les rixes et la dague
*
L5 S1
Rage collective
Bombardements et deltas
Vestiges de palais disparus sous l’arrière-boutique
D’un vendeur de téléphones
Un chat observe la scène en se léchant
l’anus
Coraux de la fumée s’élevant au-dessus
Des toits et des crânes
Byssus irrémédiablement décollés de
l’originelle roche
L’os-nacre est la coquetterie des morts
L’ultime affèterie des prophètes
Un orgue martèle implacablement
Un requiem de comédie musicale
L’humaine hernie plie Dieu en deux
Et la radio ne joue plus
Palestrina.
*
Quatrain
Le supplicié contempla son bras détaché
Posé sur une table voisine tel un pain encore tiède
Des hommes autour riaient et chantaient
Parlaient femmes, jeux, eau-de-vie et salut